Un Jardin de Cocagne à Montagney?

Nos maraîchers ont des projets ! Jean-Pascal GUERRION et Frédéric DUDORET, de la Ferme du Chemin d’Acey à Montagney, accompagnent l’AMAP du panier de l’aneth depuis sa création et nous livrent chaque semaine de superbes paniers de légumes bios. Après dix ans de production maraîchère, les deux garçons se lancent dans une nouvelle aventure, la transformation de leur ferme en Jardin d’insertion dans le cadre des Jardins de Cocagne, qu’ils conçoivent comme le prolongement logique de leur engagement professionnel. Dans cette interview téléphonique, Frédéric précise les contours du projet. Thank you Fred !

Vous avez le projet de changer de statut pour transformer le GAEC en Jardin de Cocagne, de quoi s’agit-il ?

Il s’agit de transformer l’exploitation agricole, la ferme du Chemin d’Acey, en Jardin de Cocagne.

Alors, déjà qu’est-ce qu’un jardin de Cocagne ? C’est une exploitation maraîchère qui produit des légumes et qui vend sous forme de paniers, comme à l’AMAP de l’aneth aujourd’hui, mais avec la particularité qu’elle embauche des gens qui sont loin de l’emploi. On a donc ce qu’on appelle un Jardin d’insertion. Avec Jean-Pascal nous serons toujours maraîchers, mais sur l’exploitation il y aura aussi des gens en insertion, ils travailleront avec nous. On va donc changer de statut. On deviendra une structure différente, conventionnée par l’Etat, qui nous reconnaît comme structure d’insertion et qui paye les gens que l’on va embaucher.

Comment a cheminé le projet ?

Et bien Jean-Pascal et moi avons eu une expérience en Jardin de cocagne il y a maintenant dix ans. Au Jardin de Cocagne de Chalezeule, Jean-Pascal était maraîcher encadrant. J’y ai moi-même été stagiaire encadrant de la formation en maraîchage biologique. Je suis ensuite devenu permanent au Réseau cocagne. Nous avons perçu combien le projet d’insertion y était pertinent. Nous sommes persuadés de la pertinence du support maraîchage pour aider les gens à se reconstruire : on est en phase avec la nature, on sème, on plante, on prend soin des légumes au rythme des saisons, on vend ces produits à des clients, on se restructure grâce à la nature et au lien social. Or, les personnes accueillis en contrats d’insertion sont souvent bien cassés par la vie, on voit bien comment ça se passe, il y a des problèmes personnels, des problèmes de santé, d’isolement, des problèmes d’addiction… La vie fait qu’à certains moments on perd pied et le maraîchage peut être un bon levier pour retrouver des repères. Alors on sait que ce n’est pas facile car sur cent personnes qui passent par un Jardin de cocagne, certaines retrouvent un chemin vers la vie professionnelle, d’autres non, mais ce passage sur le Jardin contribue en tout cas à agir concrètement avec ces personnes.

Quand on s’est installés au Chemin d’Acey, on savait que si c’était possible nous nous lancerions dans un tel projet. Mais cela ne pouvait se faire qu’après avoir développé une bonne maîtrise de l’activité maraîchère. Après dix  ans sur notre ferme de Montagney nous pensons que nous sommes suffisamment bons techniquement. Nous avons produit et livré à nos deux AMAP de façon satisfaisante. Nous nous sentons assez solides pour maintenant réfléchir à ce projet de Jardin de Cocagne.

La ferme prend donc une nouvelle dimension car en même temps que l’on fait pousser les légumes il faut accompagner les gens en insertion, et ça relève d’un vrai champ de compétence, ça nécessite un temps spécifique et sur ce volet nous serons aidés par un professionnel, salarié du futur Jardin et orienté sur l’accompagnement socioprofessionnel. Tout comme nous serons aidés par une personne spécialement impliquée sur l’atelier de transformation laitière.

Oui, en effet tu nous parlais récemment d’un projet de yaourt, de cancoillote… Ca fait donc partie du projet ?

Alors, dans notre projet il y aura effectivement deux piliers. Il y aura le pilier maraîchage : on fera des légumes en bio, comme actuellement. Et il y aura un pilier transformation laitière avec du lait acheté à Jean-Luc Buraud, de Montagney. Le lait sera transformé en yaourt, en cancoillote, en  crème, et en beurre. L’atelier sera lui aussi destiné à accueillir les salariés en insertion.

Vous allez donc devoir développer des compétences en transformation laitière ?

Oui et c’est là qu’intervient Stéphane Garret. Il est adhérent à l’AMAP de l’aneth (il est notamment référent carpes pour Christine et Eric ROUBEZ) et le projet lui plaît, or son métier de départ est celui de la transformation du lait. Il nous a donc rejoints sur le projet.

Faudra-t-il embaucher pour assurer le pilotage de la structure ?

Oui, c’est ce que je disais tout à l’heure. Déjà, un Jardin de Cocagne est forcément porté par une association, qu’on a déjà créée et qui s’appelle Solidari-terre. Cette association va nous embaucher, Jean-Pascal, Stéphane et moi comme maraîchers encadrants. Mais la structure embauchera aussi une personne qui sera accompagnatrice dans le domaine socioprofessionnel. C’est une personne qui œuvre dans le social, qui a pour objectif de suivre les gens dans leur parcours d’insertion, pour les aider vis-à-vis de tous les freins à l’emploi qu’ils peuvent rencontrer.

Le Jardin emploiera donc à priori donc une première équipe de 4 personnes. Il y aura aussi un temps de Direction qui sera sans doute pris sur une partie du temps de travail de maraîcher encadrant.

Comme toute association, Solidari-terre sera forcément dirigée par un Conseil d’administration. Qui fera partie du tour de table ?

L’association a d’abord été créée en novembre dernier par des personnes intéressées, motivées par le projet, et aux compétences diverses. Ce sont essentiellement pour l’instant des personnes aux alentours de Montagney mais deux bisontins administrateurs de l’AMAP du panier de l’aneth sont déjà dans le projet, ce sont Alexandra VIPREY (référente pain pour le fournil Terre de pains) et Didier PICARD (référent volaille pour Volailles d’antan). Globalement, on a des gens qui travaillent dans le social, dans les travaux publics, dans l’environnement… Ils sont tout simplement motivés et viennent d’horizons divers.

Le CA comptera-t-il des institutions ?

Le CA est en effet constitué de trois collèges. Il y aura un premier collège de membres actifs, on peut dire que c’est le cœur du CA. Il y aura un second collège de membres partenaires, avec des personnes physiques ou morales. Et il y aura enfin un collège d’adhérents-consommateurs, ce sont des personnes physiques.

Peux-tu nous dresser un petit panorama des partenaires institutionnels impliqués?

Déjà, puisque le Jardin doit être conventionné par l’Etat, nous avons un premier partenaire qui est la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), qui donne des subventions pour les postes en insertion. Il y aussi le Département, le Conseil général, qui finance également les postes en insertion et qui en plus porte la politique du RSA. Et puisque les Jardins de cocagne accueillent des personnes souvent bénéficiaires du RSA, le département est un partenaire de premier plan.

Ensuite autour de la table il y a généralement des communes, des communautés de communes. Et il y aussi ce qu’on appelle les prescripteurs du bassin d’emploi, les institutions qui nous adressent des candidats. Pour nous, pour notre zone Gray-Marnay-Pesmes, ce sont d’abord le Pôle-emploi de Gray, la Mission locale de Gray et la structure Cap Emploi, qui concerne plutôt des personnes en situation de handicap. Le Conseil général, lui, flèche plutôt des personnes bénéficiant du RSA.

A ce sujet, quel sera le statut des personnes en insertion sur le Jardin ? Comment doit-on les appeler ?

En général dans les Jardins de Cocagne on les appelle « jardiniers ». Mais ce sont des salariés agricoles tout simplement, car pour eux le Jardin de Cocagne est un employeur. Nous émettrons des offres d’emploi auprès de Pôle emploi notamment et les gens pourront candidater comme ouvrier maraîcher ou comme ouvrier polyvalent, pour travailler à la fois sur le maraîchage et sur l’atelier de transformation, comme pour un emploi normal.

Peut-on déjà savoir combien de personnes seront accueillis ?

Et bien on estime qu’en vitesse de croisière, d’ici trois ou quatre ans, on pourra accueillir entre douze et seize personnes sur l’année, ce qui correspond à 11 équivalents temps plein. Les gens accueillis seront sur des contrats CDD en insertion, pour quatre mois, renouvelables jusqu’à un maximum de deux ans. La durée hebdomadaire de travail pourra osciller entre 20 et 35 heures.

Le projet nécessite sûrement des investissements, pour accueillir les salariés en insertion mais  aussi pour créer l’atelier de transformation laitière, n’est-ce pas ?

Oui, et il faut savoir qu’un Jardin de Cocagne a deux budgets. Il y a un budget de fonctionnement qui sert à financer le fonctionnement annuel du jardin, avec ses charges (fonctionnement de la structure agricole et du futur atelier, salaires…) et ses produits (vente des paniers, subventions versées par les partenaires pour les salaires des personnes insertion, pour des aides au fonctionnement…).

Et il y aussi un budget d’investissement, qu’on est en train de travailler et qui permettra notamment de construire un bâtiment. Ce bâtiment aura trois fonctions. Une première partie sera dédiée à l’accueil des salariés avec des vestiaires, un réfectoire, une cuisine, des sanitaires... Une seconde partie accueillera la zone stockage et de conditionnement pour la préparation des paniers. Une troisième zone sera enfin consacrée à la transformation laitière, avec les matériels et les conditions d’hygiène et de climatisation nécessaires à la production. Nous souhaitons installer une cuve pour les yaourts puis une écrémeuse, à terme, pour passer aux futures productions.

En termes de planning, avez-vous déjà une date de lancement?

La première étape a lieu en ce moment car un Jardin de cocagne est construit sur une étude. On contacte les partenaires pour vérifier le besoin d’insertion sur le territoire et on imagine les liens réguliers que nous pourrons avoir avec ces structures au quotidien. Et bien sûr on élabore un budget.

Concrètement, cette étude est portée par moi depuis novembre 2016 grâce à des subventions de deux financeurs, Franche-Comté active, via le Fonds de confiance, et la DIRECCTE. Ca nous dégage du temps de travail pour construire sereinement le projet.

Aujourd’hui je suis donc « sorti » momentanément de l’exploitation pour me consacrer pleinement à l’étude préalable. Cette première phase cherche à établir les conditions de réussite du projet. Tout de suite après, pour être présent sur la saison  de plein production maraîchère, je vais redevenir maraîcher à temps plein au mois de mai 2017 jusqu’à septembre environ. Là commencera la seconde phase, où il faudra travailler sur l’obtention du conventionnement via la DIRECCTE et avec tous les partenaires, sur la finalisation de l’étude et sur la mise en œuvre concrète du projet.

A la fin de l’étude, les partenaires pourront nous dire si le Jardin peut être créé ou pas. L’échéance que nous visons est celle de janvier 2018, ou nous espérons ouvrir le jardin.

Et du coup comment-voyez-vous les nouvelles relations avec vos deux AMAP ?

Nous on voit ça comme un plus. Les gens adhérent à l’AMAP pour soutenir une agriculture paysanne, pour manger des légumes bios et locaux. Depuis 10 ans ça fonctionne bien avec les deux AMAP de Besançon et Montagney, alors on souhaite maintenant proposer aux amapiens de soutenir en même temps une activité d’insertion.

Après, concrètement, pour les adhérents, ça change peu de choses, ils continueront à recevoir leurs légumes. La différence est qu’ils verseront leurs chèques à l’association Solidari-terre qui portera statutairement le Jardin.

Peut-on dire que nous sommes encore dans un soutien à l’agriculture paysanne, puisque le sigle AMAP signifie Association pour le soutien à l’agriculture paysanne?

Moi je crois que oui, car Jean-Pascal et moi déjà restons maraîchers, avec un statut salarié de maraîcher encadrant. Stéphane aussi sera maraîcher encadrant. La structure conserve les grandes caractéristiques qui définissent l’agriculture paysanne. Il y a notamment le pôle environnemental, il y a le pôle socialement responsable, créateur d’emploi et qui repartit les richesses, et le pôle économique qui rémunère le travailleur, le paysan.

L’engagement des amapiens continue donc à faire vivre une activité maraîchère, c'est à dire les nouveaux salariés, tous les gens qui seront recrutés sur des contrats d’insertion et aussi les deux responsables de l’atelier de transformation et de l’encadrement socioprofessionnel. Donc on reste à mon avis dans un cadre d’Agriculture paysanne.

Et l’idée c’est que les gens continuent à adhérer à l’AMAP de paniers de l’Aneth : ils restent amapiens, notre lien reste le même. On reste lié par les paniers, par les livraisons hebdomadaires, par les coups de main sur l’exploitation, qui sont des moments conviviaux et de pédagogie. Par ailleurs, si le CA de l’AMAP est d’accord, on peut imaginer que les amapiens prennent des contrats sur de nouveaux produits transformés, avec des légumes transformés sous forme de soupes, de sauces, et avec les yaourts et la cancoillotte qui seront produits à la ferme.

Dans le projet, les partenaires ont d’ailleurs trouvé notre projet d’atelier laitier intéressant. Ca élargit la possibilité de travail, au-delà du maraîchage, ça diversifie les possibilités. Un atelier laitier demande des gestes, une rigueur, une implication différente que pour la production de légumes, ça apporte un plus à notre projet d’accompagnement socioprofessionnel.

Justement, tu peux nous en dire encore un peu plus sur le versant laitier du projet ?

Comme je l’ai précisé tout à l’heure, le lait serait acheté à Jean-Luc BURAUD, à Montagney, soit à un km de la ferme. C’est du lait bio. Il serait pris le matin à 8h pour être transformé à 9h. Et on reste bien sûr dans notre logique de production locale.

Etes-vous déjà en mesure de faire des scénarios pour les volumes dégagés par cet atelier ?

Ca serait tout petit car on misera avant tout sur l’accompagnement d’insertion socioprofessionnelle et sur la qualité des produits. On commencerait par 3000 litres annuels pour atteindre dans deux ou trois ans le chiffre de 10 000 litres. C’est minuscule. Pour donner un chiffre de comparaison, une seule meule de Comté nécessite environ 400 litres de lait.

Au niveau du travail d’accompagnement vers l’insertion, cet atelier est très important car nous souhaitons que les salariés en insertion s’impliquent tout en ayant une ligne de mire, une direction, avec pour objectif le retour à l’emploi. L’idéal serait que nous puissions définir des besoins sur le bassin d’emploi avec nos partenaires et avec des entreprises du territoire. Or, on sait bien que chaque poste nécessite des aptitudes, des savoir-être, d’abord en termes d’assiduité, de travail en équipe, de rythme, de respect des consignes d’hygiène et de sécurité… Nos deux piliers, le maraîchage et l’atelier de transformation laitière, seront donc deux lieux où on pourra travailler en complémentarité pour viser une plus grande diversité de postes. Le grand objectif c’est de remobiliser les gens vers le chemin de l’emploi. Il y aussi un dialogue à établir avec les centres de formation car le retour à l’emploi, surtout pour des gens au départ très peu qualifiés, passe aussi par des temps de formation, par l’accès à des formations qualifiantes. C’est tout ce travail de lien que l’on souhaite développer.

OK. Sinon, l’association porteuse du Jardin est déjà créée et s’appelle Solidari-terre... ?

Oui et d’ailleurs chacun pourra adhérer pour soutenir le projet. Si tu le souhaites, tu peux donc être à la fois adhérent à l’AMAP et à la fois adhérent à Solidari-terre.

A ce propos, il faut rappeler que notre association établit des contrats spécifiques entre les consommateurs et les producteurs, qu’est-ce que ça va changer pour les contrats AMAP, quand le Jardin aura été créé ?

Pour 2017-2018, le contrat le contrat restera établi entre le consommateur et nous, maraîchers de la Ferme du Moulin d’Acey. Mais ce qu’on propose et qu’on doit expliquer aux amapiens pour la saison qui s’ouvre c’est qu’on va leur demander de faire dix chèques de préachat, et non pas douze comme habituellement. Si le jardin ouvre en mars 2018 comme prévu, nous ne pourrons plus en effet encaisser les chèques comme actuellement puisque la structure statutaire sera différente. Alors pour anticiper ça, on va proposer aux gens de nous payer la même somme mais sur dix mois et non pas douze.

Ensuite, en 2018-2019, nous espérons que le projet aura abouti et que les contrats seront passés entre les amapiens et le Jardin de cocagne !

Alors bon courage et merci, Mr Dudoret.

Propos recueillis le 21 février 2017 par Raphaël Mesonero

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